Irène Jacob : « Beaucoup de jeunes ne connaissent pas le nom de Pol Pot

, Irène Jacob : « Beaucoup de jeunes ne connaissent pas le nom de Pol Pot

L’actrice de «La double vie de Véronique» interprète une journaliste de guerre qui a «Rendez-vous avec Pol Pot», sous la direction du réalisateur cambodgien Rithy Panh. Rencontre.

Paris Match. Comment êtes-vous arrivé sur le film « Rendez-Vous avec Pol-Pot » ?
Irène Jacob.
J’ai rencontré Rithy Panh à Cannes en 2015. Je faisais partie du jury du prix de L’Oeil d’or consacré aux films documentaires dont il était le président. Nous nous sommes très bien entendus. J’ai tourné ensuite dans un film produit par Catherine Dussart – « Shikun » d’Amos Gitai » -, qui a organisé une rencontre avec Rithy. Il m’a alors proposé de tenir le rôle qui était inspiré d’Elizabeth Becker, la journaliste qui est allée au Cambodge en 1978 et qui a eu ce rendez vous avec Pol-Pot avec un confrère. C’était un scoop énorme, car les frontières du pays étaient fermées depuis trois ans. Ils se sont rendus au Cambodge sans aucune certitude. On leur a fait miroiter ce rendez vous comme un mirage et en même temps, on leur soumettait une propagande intense qui était vraiment impossible à croire car Elizabeth Becker connaissait le Cambodge d’avant la révolution. 

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Rithy Panh montre bien que le Cambodge des Khmers rouges était une dystopie révolutionnaire…
Oui tout à fait. La propagande était comme un trompe l’oeil. C’était tellement évident que tout était faux, que le régime khmer rouge jouait sur la peur de l’attaque des Vietnamiens pour empêcher les journalistes d’être libres et d’avoir le discernement nécessaire. D’où l’impression de dystopie, d’être dans la fiction la plus totale. C’est d’ailleurs ce qu’expliquera Elizabeth Baker à son retour. La réalité était si impossible à croire qu’on n’avait pas assez d’imagination pour pouvoir l’accepter. Personne n’imaginait qu’il y avait eu un génocide de 3 millions de personnes. Mon personnage s’appelle d’ailleurs Lise Delbo, Lise pour Elizabeth et Delbo pour Charlotte Delbo qui était l’assistante de Louis Jouvet et qui sera déportée dans les camps durant la Seconde Guerre Mondiale. Elle a écrit des livres ensuite. Contre l’organisation du mal, elle a trouvé la parole pour lutter et les mots pour témoigner.

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J’ai été très impressionnée de tourner avec Rithy Panh. Il a traversé cette époque quand il avait treize ans et a consacré toute sa vie à témoigner de cette histoire impossible. En 2 heures, le 17 avril 1975, la ville de Phnom Penh a été vidée de ses habitants, les familles séparées et les intellectuels tués. Si on avait des lunettes, on était passible de mort. Sur le tournage, j’avais un journal avec des articles de l’époque. « « L’Humanité » titrait Phnom Penh libéré. Pareil pour « Libération ». Ou bien « Les bourgeois avides de dollars ont été envoyés se purifier dans les rizières ». Le génocide était très difficile à envisager. Et pourtant c’est arrivé. Les gens mourraient de faim, tout était propagande, tout était faux. Et ça a duré plus de trois ans. C’était il y a seulement 40 ans et pourtant beaucoup de jeunes aujourd’hui ne connaissent pas le nom de Pol Pot. 

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« Le déni commence par soi même »

Le film montre bien les dérives de tout idéologie, avec le personnage interprété par Grégoire Colin, qui, longtemps, refuse de voir la vérité.
Nous avons eu la chance avec Cyril Guei (qui joue le photographe dans le film) de rencontrer Elizabeth Becker. Elle était très heureuse de nous rencontrer et de faire part de son expérience et. Et elle nous a parlé de cet homme, Malcolm Caldwell (qui va trouver la mort dans des circonstances non élucidées durant le reportage en 1978, NDLR) qui croyait en Pol Pot et qui avait envie de pardonner beaucoup de choses au régime khmer rouge, en expliquant que, dans une révolution, il y a toujours  des choses qui se passent mal. Le déni commence par soi même. C’était impossible pour lui de renoncer à croire à son utopie, à son idéal. Le rôle que joue Grégoire Colin, c’est la figure du grand intellectuel qui a mis beaucoup d’espoir dans cette révolution et qui reste un idéaliste. Il se réjouit même de rencontrer Pol Pot qu’il a fréquenté à Paris pendant ses études. C’est comme dans « Le Désert des Tartares » de Dino Buzzati, on leur fait longtemps croire qu’ils vont rencontrer frère Numéro 1 (Pol Pot) mais rien ne se passe. 

La propagande des images est un sujet ô combien contemporain.
Oui, Rithy Panh a fait beaucoup de films pour raconter cette histoire – des documentaires, de la fiction, de l’animation aussi, mais ce qui l’intéresse aujourd’hui c’est le pouvoir des images, le mensonge des images, l’information qui devient désinformation. Pour préparer le rôle, j’écoutais beaucoup les entretiens de Florence Aubenas sur le journalisme quand l’humain est conforté à des situations extrêmes. Elizabeth Becker m’a expliqué qu’elle avait lu beaucoup de livres sur les camps nazis pour être sûre de ne pas passer à côté de quelque chose lors de son reportage. Mais on a beau anticiper, on ne peut pas se préparer à l’horreur. Et quand les journalistes sont rentrés, beaucoup de gens n’ont pas cru à la vérité.

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« Le culte du mensonge va avec le culte de la personnalité »

Toute propagande s’appuie sur l’Art pour faire passer les messages, et même par le cinéma. 
Je crois que le culte du mensonge va avec le culte de la personnalité. Pol Pot, c’est l’homme à l’éventail qui sourit tout le temps, un homme érudit qui déclame des poèmes. Et pourtant, il tue n’importe qui s’opposant à lui. Rithy Panh a utilisé des figurines en terre cuite comme il l’avait fait pour certains de ses films parce que l’horreur, on ne peut pas la dire avec des images. L’image sature au bout d’un moment. La fable et la métaphore permettent d’accéder à l’histoire la plus tragique.

Dans « Maus », Art Spiegelman avait ainsi eu l’idée qu’en racontant la Shoah avec des souris, on acceptait plus facilement le récit de l’horreur. Nous avons tourné dans un vrai aéroport qui a été construit durant la période du Kampuchéa démocratique. Aucun acteur cambodgien n’a voulu interpréter Pol Pot car cette histoire, là-bas, elle est encore vivante. Le seul qui pouvait le faire, c’était Rithy, et c’était très dur pour lui de l’interpréter. On ne peut pas filmer l’inconcevable, on ne peut pas le jouer non plus, ni l’interpréter. Toute l’équipe du tournage a connu de près ou de loin cette histoire, c’est une cicatrice béante encore au Cambodge. 

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