Livres : trois pépites pour parcourir le monde sans quitter son canapé

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Il y a quelques années, le journaliste dandy Matthias Debureaux avait publié un essai hilarant intitulé De l’art d’ennuyer en racontant ses voyages. Rien de pire, il est vrai, que ces récits narcissiques aux airs de soirées diapos. Après avoir épinglé ses contemporains, il fallait relever le gant. Mission accomplie pour Debureaux qui avait signé un indispensable Guide mondain des villages de France, où il sillonnait nos provinces avec érudition et espièglerie. L’esprit est nécessaire pour réussir un livre de voyage. C’est ce qui fait la marque de fabrique du maître du genre, Sylvain Tesson, dont la cote ne baisse pas auprès des lecteurs (près de 170 000 exemplaires vendus pour son dernier livre, Avec les fées). Au début du précédent, Blanc, on avait souligné ces phrases riches en culture générale : « J’en connaissais moi aussi des phrases pour les départs. De Rimbaud : ‘Je vais m’acheter un cheval et m’en aller.’ De Montaigne : ‘Il faut être toujours botté et prêt à partir.’ De Mme Despentes : ‘On se lève, on se casse.' » Les trois auteurs qui suivent lui emboîtent le pas.

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Julien Blanc-Gras a dû pas mal lire Despentes. Agé de 48 ans, il est d’une génération qui a été biberonnée à Bret Easton Ellis et à Houellebecq plutôt qu’à Pierre Loti. Cela se ressent dans son style, qui laisse plus de place aux bonnes formules qu’à la contemplation – ce qui n’est pas un reproche, sauf quand il écrit cette phrase impardonnable : « Le bonheur, c’est simple comme un coucher de soleil sur le Mékong en écoutant Aya Nakamura. » Sa femme (d’origine coréenne) ayant fait un burn-out, Blanc-Gras décide de prendre le taureau par les cornes : il déscolarise leur fils et, pendant quatre mois, le trio arpente la Thaïlande, le Cambodge, le Laos, le Vietnam, le Japon et enfin la Corée du Sud, sur les traces du passé de madame.

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Sautant d’un scooter à une pirogue et d’un ferry à un tuk-tuk, l’infatigable Blanc-Gras est un Nicolas Bouvier bobo. Son livre Bungalow entre les mains, on a l’impression de lire un long reportage du magazine Society. Les visions pittoresques sont agrémentées de considérations sociologiques et de digressions historiques. On passe un très bon moment. Le globe-trotter devrait plancher sur un manifeste : De l’art d’amuser en narrant ses aventures.

Pépite signée Philibert Humm

Adrien Blouët lui aussi doit connaître les livres de Matthias Debureaux, si l’on en croit l’introduction de son récit Comment ne pas devenir écrivain voyageur : « Les gens (les gens comme moi) ne devraient jamais écrire sur leurs voyages. Quoi de plus ennuyeux, et même de plus abject, que ce genre de compte rendu ? Les mêmes narrateurs éternellement interchangeables qui vous racontent, englués dans un lyrisme aux relents coloniaux, ce que tout un chacun pourrait apprendre sans leur aide… » Fin 2019, le jeune homme arrive à Okinowa, « la région du monde qui compte le plus grand nombre de centenaires et où l’on observe l’espérance de vie la plus longue ». Lauréat d’une bourse d’écriture, il espère terminer un roman au calme. Une certaine épidémie change la donne. Blouët a bouclé son manuscrit en cours (Les Immeubles de fer, sorti en 2021) et pris des notes que l’on retrouve dans ce carnet de bord du Japon au temps du coronavirus, rigolo comme du Blanc-Gras, mais aussi très poétique.

Le meilleur des écrivains post-Tesson reste son ami Philibert Humm. On se souvient de ses savoureuses Tribulations d’un Français en France où, bondissant tel un jeune Belmondo, il cherchait les Caraïbes en Corse, trouvait la Toscane à Clisson et voyait en Autun un double de Rome. Pourquoi parcourir le vaste monde quand on a l’Hexagone ? Bien que dépourvu de tout discours idéologique ou écologique, Humm affiche un bilan carbone irréprochable. Dans Roman fleuve (prix Interallié 2022), trois copains embarquaient sur un canot (qui aurait appartenu à Véronique Sanson) pour rallier Le Havre depuis Paris. Aucun n’ayant le pied marin, les scènes cocasses se succédaient, avec un humour absurde et une élégance désuète, quelque part entre Jerome K. Jerome, Alexandre Vialatte et Pierre Daninos.

Cette pépite, qui est sortie en poche début mars, est un des succès du moment, avec déjà près de 30 000 exemplaires écoulés. A mettre dans son sac à dos cet été, en attendant le nouveau livre de Humm, Roman de gare, à paraître fin août. « Les voyages forment la jeunesse et déforment les pantalons », disait Max Jacob. Dans le meilleur des cas, comme ici, ils peuvent aussi drôlement divertir le lecteur.

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Bungalow, par Julien Blanc-Gras. Stock, 193 p., 19 €.

Comment ne pas devenir écrivain voyageur, par Adrien Blouët. Notabilia, 207 p., 20,50 €.

Roman fleuve, par Philibert Humm. Folio, 283 p., 8,90 €.

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