Nos critiques cinéma de la semaine

Plongée en Khmers rouges (3⭐️/4)

Trois journalistes se rendent au Cambodge en 1978 dans l’espoir d’interviewer Pol Pot. Un film saisissant sur la dictature et le métier de reporter.

Ils attendent sur un tarmac désert et désaffecté, sans savoir le sort qui leur sera réservé. Les trois personnages principaux du film du cinéaste Rithy Panh Rendez-Vous avec Pol Pot ont surtout rendez-vous avec l’épisode le plus noir de l’histoire du Cambodge : la dictature du leader des Khmers rouges. En 1978, alors que le pays est devenu le Kampuchéa démocratique, trois Français acceptent une invitation du régime dans l’espoir d’obtenir une interview exclusive avec le « frère numéro un », Pol Pot. Parmi eux, Lise, une journaliste familière du pays (Irène Jacob, sensible et déterminée), Paul, un reporter photo (Cyril Gueï, révolté et téméraire) et Alain, un intellectuel, ancien camarade de Pol Pot à la Sorbonne, sympathisant de l’idéologie révolutionnaire (Grégoire Colin en fidèle aveuglé)… En guise de reportage, ils se retrouvent sous surveillance et matraqués par une propagande mensongère, risquant leur vie.

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Avec ce nouvel opus, Rithy Panh poursuit l’œuvre de mémoire essentielle qu’il construit depuis trente ans pour les victimes de son pays d’origine – il avait 11 ans à l’arrivée des Khmers rouges au pouvoir. Le réalisateur continue de forger un témoignage précis de cette période sombre, au départ avec des documentaires décortiquant les origines du mal, les rouages du régime, et réhabilitant les millions de victimes de cette violence, comme dans S21 – La machine de mort khmère rouge, qui fut présenté hors compétition au Festival de Cannes en 2003. Cette année, il est revenu au Festival, dans la sélection officielle Cannes Première, avec ce film implacable qui signe aussi son retour à la fiction – la dernière remonte à 2008, avec l’adaptation du chefd’œuvre de Marguerite Duras Un barrage contre le Pacifique« Rithy a écrit ce nouveau film avec sa chair, témoigne Irène Jacob. Pendant le tournage, il s’allongeait par terre, faisait des insomnies ou somatisait après avoir tourné une scène… C’est même lui qui interprète Pol Pot, son visage caché dans l’ombre, car aucun acteur n’acceptait de le jouer. Il en a fait des cauchemars. Pourtant, il a toujours le sourire et insuffle de la poésie à son œuvre, même quand ça va mal. »

Fiction, archives et symbolique

Rendez-vous avec Pol Pot mélange avec brio des scènes interprétées par les comédiens pour narrer la trame principale de l’histoire, des images d’archives documentaires pour montrer l’horreur du génocide et des scènes symboliques avec des figurines de terre cuite pour appeler, avec force, l’imagination du spectateur, qui accompagne le souffle court ce voyage dramatique en territoire hostile. « C’est formidable de partager ce rôle avec des figurines faites par des artistes de cette culture-là, poursuit l’actrice. Elles disent des choses profondes et très intemporelles, qui complètent le jeu d’acteur et vont même au-delà. Cela me rappelle le procédé utilisé dans Maus [célèbre roman graphique d’Art Spiegelman sur la Shoah] : les figurines permettent de prendre des biais, de ne pas raconter l’horreur frontalement. Les gens peuvent ainsi entrer dans cette histoire et en saisir toute la portée. »

Si le film tape si fort et si juste, c’est qu’il est aussi adapté du livre de la grand reporter Elizabeth Becker When the War Was Over : Cambodia and the Khmer Rouge Revolution (Les Larmes du Cambodge). Correspondante du Washington Post pendant la guerre du Vietnam, elle avait « décroché » avec deux autres journalistes une interview de Pol Pot – la première qu’il donnera à des non-communistes. Montrant habilement le cocktail de propagande, de désinformation et d’intimidation du régime, le film est aussi un hommage au métier de reporter, à travers le personnage joué par Irène Jacob : « Je me suis appuyée sur le livre d’Elizabeth et sur les interviews de la journaliste Florence Aubenas à propos de l’éthique du métier et des réactions que l’on peut avoir en tant qu’humain, même si l’on est en reportage, expliquet-elle. Mon rôle pose aussi la question de comment dire une vérité qui a été étouffée : il fallait absolument être à la hauteur de ce peuple laissé dans l’oubli. » Un pari assurément réussi. C.L

Rendez-vous avec Pol Pot, de Rithy Panh, avec Irène Jacob, Cyril Gueï, Grégoire Colin. 1 h 52. Sortie mercredi.

Le film d’Ariane (3⭐️/4)

C’est l’histoire d’Ariane, traductrice franco-espagnole qui vient d’être embauchée dans une usine de transformation alimentaire, à Richelieu, dans une région agricole du Québec. Son travail ? Transmettre aux ouvriers venus d’Amérique centrale les directives en langue française d’un jeune patron survolté et fort peu enclin à la bienveillance à l’égard d’une population aussi déracinée que fragilisée et malléable. La langue se révèle rapidement être au centre de Dissidente, premier long-métrage du cinéaste canadien Pier-Philippe Chevigny. Entre l’espagnol et le français, entre les mots des salariés et ceux du patron, l’héroïne, incarnée avec beaucoup d’intensité par Ariane Castellanos, se retrouve comme entre deux feux et comme sommée, au bout du compte, de choisir, alors qu’elle est elle-même une immigrée hispanophone sur le sol québécois. À travers une veine sociale assumée (le film à l’origine devait être un documentaire), le réalisateur assoit sa fiction sur des réalités avérées : le gouvernement canadien propose un programme d’accueil des travailleurs temporaires qui convie chaque année près de 60 000 migrants, dont la moitié provient du Guatemala. Dans le droit fil d’un Ken Loach, Dissidente est le magnifique portrait d’une femme qui refuse l’injustice et la fatalité. Le film suit son parcours au plus près, conduisant le spectateur à une identification tout à la fois salutaire et féconde. A.C

dissidente

Ariane Castellanos et Marc-André Grondin.

Dissidente, de Pier-Philippe Chevigny, avec Ariane Castellanos, Marc-André Grondin, Nelson Coronado. 1 h 29. Sortie mercredi.

L’effet d’une bombe (3⭐️/4)

« Les cinq atomistes yougoslaves qui avaient été gravement irradiés le 15 octobre dernier à la suite d’un dépassement de niveau critique du réacteur expérimental du centre de Vinca ont quitté Paris samedi soir pour regagner leur pays. » C’est ce que purent lire les lecteurs du Monde, le grand quotidien du soir, dans le numéro du 17 février 1959. Quarante ans plus tard, L’Affaire Vinca Curie, un film de fiction réalisé par le cinéaste serbe Dragan Bjelogrlic, revient sur cet incroyable épisode de la guerre froide quelque peu tombé dans l’oubli depuis. C’est d’ailleurs la force principale de ce film qui par ailleurs n’évite pas toujours une certaine pesanteur didactique quand, en guise de conclusion, il entend mener des parallèles avec la menace nucléaire actuelle. Reste un casting excellent mené par l’acteur français Alexis Manenti au service du récit haletant de prouesses médicales révolutionnaires sur fond de tensions internationales et de destruction massive potentielle. A.C

vinca curie

L’Affaire Vinca Curie, de Dragan Bjelogrlic, avec Alexis Manenti, Radivoje Bukvic, Lionel Abelanski. 2 heures. Sortie mercredi.

Malins d’eau douce (3⭐️/4)

Quand son riche patron lui remet un budget faramineux pour qu’elle lui organise un week-end romantique, Justine se confie à son mari sans emploi et à leur bande d’amis, fauchés eux aussi. Dans l’espoir de ramasser la mise, ils fomentent un coup : une croisière tout en toc, très bon marché mais maquillée grand luxe… À la fois tendres et retorses, les situations inventées par Bruno Podalydès pour sa onzième comédie sont le prétexte à un guignol au fil des canaux moquant en vrac l’envie, la jalousie, l’usure du couple, le désarroi face à la vie chère. On pourrait mal le prendre car ces réalités nous touchent et tout est délibérément surjoué, un peu poussif et survolé. Mais le fond est bon et la fantaisie séduit. La poésie de Jacques Tati et la malice de Louis Forton (le scénariste de la bande dessinée Les Pieds nickelés) ne sont pas loin, la croisière amuse. Cernée par trois coqs qui se prennent pour ses patrons, Kiberlain mène le jeu avec le renfort désopilant d’une troupe de ringards assez volontaires et maladroits pour surprendre. Chemin faisant, forte de son rythme déconcertant et de ses acteurs déconnants, l’aventure s’enrichit de jolis gags et de trouvailles bucoliques. A.C

La Petite Vadrouille, de Bruno Podalydès, avec Sandrine Kiberlain, Daniel Auteuil, Denis et Bruno Podalydès… 1 h 36. Sortie mercredi.

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