Rithy Panh, le cinéaste du génocide cambodgien

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Rithy Panh est un cinéaste de la mémoire. L’essentiel de son travail tourne autour du Cambodge et du génocide auquel adolescent il a survécu. Le plus souvent à travers des documentaires (S21, la machine de mort khmère rouge ; Duch, le maître des forges de l’enfer ; L’Image manquante) aussi audacieux qu’éclairants.

Présenté dans la section Cannes Première lors de la première semaine du Festival, son nouveau long métrage est une fiction, format qu’il n’avait pas visité au cinéma depuis Un barrage contre le Pacifique (2008), mais là encore il convoque des faits réels en s’appuyant sur le livre de la journaliste américaine Elizabeth Becker, Les Larmes du Cambodge. Elle y raconte notamment son voyage, en 1978, avec son confrère Richard Dudman et l’universitaire marxiste écossais Malcolm Caldwell qui, lui, n’est jamais revenu du Cambodge.

Ici, ce sont trois Français incarnés par Irène Jacob, Grégoire Colin et Cyril Gueï qui sont invités au Kampuchéa démocratique, le nom officiel du pays sous la dictature khmère rouge (de 1975 à 1979). Des Occidentaux, les rares à avoir pu enquêter sur place, à qui on cache la tragique réalité derrière une vitrine mensongère qui bientôt se fissure. Le récit les suit dans une forme audacieuse et un peu déroutante, singulière avant tout, faite de scènes jouées par les comédiens, d’archives et de séquences tournées avec des figurines en argile qui s’agrègent habilement.

Rithy Panh se refuse à fictionnaliser l’horreur

Le dispositif est tout sauf gratuit : Rithy Panh se refuse à fictionnaliser l’horreur, montrée avec des images réelles ; les petites statuettes, finement conçues, déjà utilisées dans le documentaire L’Image manquante (2013), permettent pour leur part de mettre une distance et de symboliser l’opacité du régime.

Rendez-vous avec Pol Pot est un film d’une remarquable cohérence sur le regard et l’aveuglement, sujet dépassant le seul génocide cambodgien. Cette cécité d’une partie des intellectuels de gauche de l’époque qu’incarne le personnage de Grégoire Colin, Alain Cariou (difficile de ne pas penser au philosophe et romancier Alain Badiou), ancien camarade du despote cambodgien à la Sorbonne.

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Une scène particulièrement significative le montre en train d’essayer, un bandeau sur les yeux, de reconnaître une sorte de costume d’éléphant en papier, sans succès bien sûr, devant des Khmers rouges hilares. Le fait que le premier du trio à prendre pleinement conscience de la réalité soit photographe ne relève pas du hasard. Dans une ambiance souvent anxiogène, le réalisateur signe une œuvre importante sur le jusqu’au-boutisme auquel peut mener l’idéologie. Un beau film de cinéma aussi, où il ose beaucoup, même citer Chris Marker, prouvant qu’au-delà du réalisateur mémoriel, il est un réalisateur cinéphile et un grand réalisateur tout court.

L’idée de ce Rendez-vous avec Pol Pot ne date pas d’hier, elle a émergé il y a dix ans. « J’ai besoin de temps, concède le sexagénaire chapeauté que ses équipes appellent “oncle”. Et puis on m’a étiqueté documentariste, les gens ne savent pas que je suis capable de tourner des fictions même si j’en ai réalisé. » Et des films centrés sur d’autres régimes totalitaires que celui des Khmers rouges ? On le lui a déjà proposé, sans succès, même si les accompagner à la production est envisageable. 

« Au début, quand vous sortez de tout ça, il faut trouver l’énergie pour revivre »

Il y a bien eu Irradiés, où il élargissait le champ de l’horreur, mais l’histoire du génocide cambodgien est également la sienne, marquée dans sa chair. Son œuvre cherchant à comprendre l’incompréhensible a contribué au travail de mémoire, terme qu’il préfère à devoir, à briser le silence, mais sans doute ont-ils aussi été une forme de thérapie. « Au début, quand vous sortez de tout ça, il faut trouver l’énergie pour revivre, donc vous n’y pensez pas trop. Une fois que vous allez mieux, que vous avez de quoi manger, un appartement, que les enfants vont à l’école, les âmes commencent à revenir. »

La culpabilité est un sentiment qui revient souvent chez les survivants des tragédies humaines. Aujourd’hui, il en porte encore les traces. « Elle ne se dit pas, mais elle reste. Je vivrai avec certaines douleurs jusqu’à la fin de ma vie, mais je me sens beaucoup mieux. J’essaye d’apprécier le présent », explique celui qui croit aux vertus de l’oubli, ce qui ne signifie pas amnésie. Ces âmes des disparus l’accompagnant, connus ou inconnus, étaient bien sûr présentes pendant le tournage, comme sur le tarmac d’un aéroport construit avec le sang de son peuple.

Rithy Panh dit avoir été témoin ou victime de quelques incidents, une tôle tombant sur sa tête par exemple, le poussant à organiser chaque jour des cérémonies bouddhistes qui ont, selon lui, eu des conséquences positives. Le cinéaste à la foi. Il aimerait d’ailleurs réaliser un film sur le sujet à l’avenir. Ou pourquoi pas, et c’est plus étonnant, une comédie. « J’adore rigoler », dit dans un sourire ce survivant bon vivant. 


Rendez-vous avec Pol Pot ***, de Rithy Panh, avec Irène Jacob, Grégoire Colin, Cyril Gueï. 1 h 52. Sortie mercredi.

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