Rithy Panh, réalisateur de « Rendez-vous avec Pol Pot » : « Il y a ce qu’on voit, ce qu’on ne voit pas et ce qu’on choisit de ne pas voir

, Rithy Panh, réalisateur de « Rendez-vous avec Pol Pot » : « Il y a ce qu’on voit, ce qu’on ne voit pas et ce qu’on choisit de ne pas voir

l’essentiel « Rendez-vous avec Pol Pot », le terrible film de Rithy Panh inspiré d’une histoire vraie, nous amène en 1978 dans l’enfer des Khmers rouges. Rencontre avec le réalisateur de passage à Toulouse.

Interné à l’âge de 11 ans dans les camps de rééducation Khmer Rouge, évadé à 15, arrivé en France à 16, le réalisateur cambodgien Rithy Panh n’a de cesse, depuis trente ans, de raconter l’horreur du génocide survenu au Cambodge, où, entre 1975 et 1979, 2 millions de Cambodgiens ont été tués par les Khmers rouges. Soit un quart d’une population de 7, 9 millions d’habitants. Rithy Panh nous parle « Rendez-vous avec Pol Pot », son dernier film qu’il est venu, après Cannes, présenter au cinéma ABC…

La genèse de « Rendez-vous avec Pol Pot » ?

Je suis parti du livre de la journaliste américaine Elisabeth Becker qui avait couvert la guerre du Vietnam et du Cambodge au début des années 70 et qui, en 1978, avait été invitée à visiter le Cambodge, devenu le « Kampuchea démocratique », avec deux autres occidentaux, un universitaire écossais, marxiste convaincu et un photographe. Ils devaient rencontrer Pol Pot. Un des trois n’est jamais revenu… J’ai transposé son histoire en faisant d’elle une journaliste française accompagnée deux autres français. Un journaliste gagné à la cause Khmer et un photographe. Je l’ai appelée Lise Delbo en hommage à la résistante déportée Charlotte Delbo dont les livres m’ont beaucoup aidé à vivre.

Le photographe est celui qui perçoit le premier qu’on lui cache tout…

Oui, parce qu’en tant que photographe, il sait décrypter et voir ce qu’il y a derrière les images. Derrière ces « villages Potemkine » qui lui sont montrés, il sent la mort et l’enfer… Mon film interroge d’ailleurs sur ce qu’on voit, ce qu’on ne voit pas et ce qu’on choisit de ne pas voir. Et sur l’aveuglement idéologique.

Le film traite aussi de la question du journalisme et de son rôle…

Je n’ai pas fait ce film uniquement pour parler Khmers rouge et du génocide, mais pour parler de la manipulation et du rôle des journalistes. Aujourd’hui, le journalisme de terrain et d’investigation se fait de plus en plus rare. Il faut de l’information immédiate, on ne creuse pas, on ne vérifie pas et on fait également de l’information idéologique, en fonction de ses idées, et non des faits.

Votre film mêle scène de fictions, film d’archives en noir et blanc et innombrables figurines d’argile qui racontent ce qui s’est passé…

J’ai retrouvé des films d’archives, comme celui, terrible où l’on voit Phnom Penh absolument désert, totalement vidé de ses habitants qui avaient été soit abattus soit expédiés à la campagne pour travailler la terre, construire des routes. J’ai aussi utilisé des figurines d’argile qui ne sont pas cuites et qui donc, comme nous, nées de la poussière redeviendront poussière et disparaîtront. Ces petits personnages sculptés à la main ont une âme, la lumière les fait vivre. J’ai du mal à montrer la mort, l’horreur. Chacun fait selon son histoire : il y a Spielberg qui, dans « La liste de Schindler » montre tout, jusqu’aux fours crématoires et il y a « Le pianiste » de Polanski où on ne voit rien des camps et qui est aussi terrible…

D’ailleurs, on ne voit pas Pol Pot non plus, il est filmé dans l’obscurité…

L’acteur pressenti pour le jouer s’est désisté. Trop dur pour lui d’incarner le dictateur sanguinaire.

Rappeler, encore et toujours ce qui s’est passé. Un besoin de mémoire ?

Absolument. Au Cambodge, où le film sera projeté, les jeunes ne connaissent plus l’Histoire. Ils n’ont pas connu leurs grands-parents mais on ne leur a pas toujours dit pourquoi… On m’a longtemps dit : » Pourquoi tu remues tout ça, n’en parlons plus ». Mais je pense qu’il faut toujours le rappeler. Hier, lors d’une avant-première, une jeune femme d’origine cambodgienne m’a dit : « Vous m’avez libéré d’un poids, maintenant je sais ». Et en France aussi d’ailleurs, je pense que les jeunes connaissent de moins en moins l’Histoire et ne voient que dans les « Rouges » un idéal révolutionnaire, sans savoir les atrocités qui ont quasiment toujours été commises au nom de la révolution et du peuple.

Sortie au cinéma le mercredi 5 juin.

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