Un projet Franco Cambodgien contre la résistance des bactéries aux antibiotiques

, Un projet Franco Cambodgien contre la résistance des bactéries aux antibiotiques

La résistance aux antibiotiques, ou antibiorésistance, est considérée comme l’un des grands problèmes de santé publique à l’échelle mondiale, voire l’une des principales crises à venir, en raison du développement et de la sélection progressive d’un nombre croissant de bactéries résistantes aux antibiotiques. Cela concerne non seulement la France, où nous connaissons tous les campagnes promouvant l’usage raisonné des antibiotiques comme « les antibiotiques, c’est pas automatique », mais c’est encore plus vrai dans de nombreux pays du Sud, notamment le Cambodge où la résistance aux antibiotiques est encore plus importante. Cela a des conséquences directes sur les chances de guérison des malades lorsqu’ils sont infectés par des bactéries nécessitant des antibiotiques, et cela constitue un véritable défi pour les médecins dans la prise en charge de ces patients.

L’un des principaux moteurs de l’émergence de la résistance aux antibiotiques est le mauvais usage des antibiotiques. C’est pourquoi, dans tous les hôpitaux à l’échelle mondiale, des programmes sont peu à peu mis en place pour surveiller l’évolution de la résistance aux antibiotiques et promouvoir le bon usage de ces médicaments. Ils visent notamment à inciter les médecins à choisir le bon antibiotique pour la bonne indication, tout en limitant si possible l’utilisation des molécules ayant le spectre d’activité le plus large. L’objectif est d’être efficace contre la bactérie responsable de l’infection tout en minimisant les dommages collatéraux sur le reste de la flore bactérienne.

Au Cambodge, une équipe franco-cambodgienne pilotée par deux chercheurs, la Dr Kennarey SEANG et le Dr Stanislas REBAUDET, vient de lancer un projet nommé « I am R », financé par la France.

Stanislas Rebaudet est un infectiologue travaillant à l’Hôpital Européen de Marseille. En tant que clinicien, il est confronté quotidiennement à la résistance aux antibiotiques et au défi du choix des antibiotiques dans le traitement de ces infections. ll est également chercheur en santé publique, affilié à Aix-Marseille Université, l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et à l’IRD (Institut de recherche pour le développement). Son laboratoire de recherche se concentre notamment sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les domaines de la santé.

Mme Kennarey SEANG est pédiatre de formation, ayant suivi une partie de sa formation en France pendant deux ans. Par la suite, elle s’est spécialisée en épidémiologie en Californie. Actuellement, elle travaille au sein de l’Université des sciences de la santé du Cambodge (UHS), dans le bureau de gestion des subventions de recherche. Son rôle consiste à développer des projets de recherche, à les soumettre pour financement et à superviser leur mise en œuvre. En tant qu’épidémiologiste, elle contribue à la valorisation scientifique des résultats de recherche en participant à la rédaction des articles scientifiques et en présentant les découvertes lors de conférences et de colloques.

Le petit Journal les a rencontrés et a pu leur poser des questions concernant leur projet de recherche.

 

Le petitJournal : qu’est-ce que le projet « I am R »

Le projet « I am R » est une initiative multidisciplinaire franco-cambodgienne visant à lutter contre la résistance aux antibiotiques au Cambodge en utilisant des outils d’intelligence artificielle. Le nom du projet, « I am R », est un jeu de mots qui combine les concepts d’antibiorésistance (dont l’acronyme en anglais est AMR) et d’intelligence artificielle (IA).

L’objectif principal du projet est de fournir aux praticiens de la santé cambodgiens un outil informatique capable de guider efficacement le choix des antibiotiques en attendant les résultats des tests de laboratoire. Pour ce faire, le projet collecte et analyse d’abord une vaste quantité de données sur la résistance aux antibiotiques dans les établissements de santé du Cambodge, en se concentrant initialement sur l’Hôpital Calmette de Phnom Penh. En utilisant des techniques avancées d’intelligence artificielle et de machine learning, l’équipe du projet développe des modèles capables de prédire la sensibilité des bactéries aux antibiotiques en se basant sur les données historiques. Ces modèles seront intégrés dans une application informatique accessible sur smartphone, permettant aux praticiens de la santé de prendre des décisions éclairées sur le choix des antibiotiques en temps réel, en attendant les résultats des tests de laboratoire.

Le projet « I am R » vise ainsi à améliorer la prise en charge des infections bactériennes au Cambodge en réduisant l’utilisation inappropriée des antibiotiques, contribuant ainsi à la lutte contre la résistance aux antibiotiques, un problème de santé publique mondial de plus en plus préoccupant.

 

LPJ : Existe-t-il des spécificités propres au Cambodge face à l’antibiorésistance ?

Des particularités dans la manière dont les antibiotiques sont prescrits et utilisés au Cambodge est plus ou moins comparable à celle de nombreux pays en développement. Par exemple, l’automédication est une pratique répandue. Les patients se procurent des antibiotiques sans ordonnance médicale. Cette pratique peut être motivée par divers facteurs, tels que l’accès limité aux services de santé, la confiance dans l’auto-diagnostique ou le coût relativement faible des médicaments.

En outre, des défis spécifiques liés à la disponibilité et à la qualité des antibiotiques sont aussi des problèmes confrontés par le système de santé de pays en développement. Dans certaines régions, notamment les zones rurales de ces pays, l’accès aux médicaments peut être limité en raison de la distance géographique par rapport aux établissements de santé ou de la pénurie de ressources médicales. De plus, la qualité des antibiotiques disponibles peut varier, avec parfois la présence de médicaments contrefaits ou de qualité inférieure sur le marché.

En ce qui concerne les pratiques de prescription des médecins cambodgiens, comme les autres aux pays en développement, elles peuvent être influencées par divers facteurs, tels que la formation médicale, les protocoles cliniques en vigueur et les pressions socio-économiques. Les médecins peuvent être amenés à prescrire des antibiotiques de manière plus prudente en raison de la prévalence élevée de la résistance aux antibiotiques, ou au contraire, à les prescrire de manière excessive en raison de pressions de la part des patients ou de perceptions erronées de leur efficacité.

En résumé, comprendre ces pratiques de prescription est essentiel pour élaborer des interventions efficaces visant à promouvoir un usage approprié des antibiotiques et à lutter contre la résistance aux antibiotiques dans le pays.

 

LPJ : quelles sont les principales difficultés auxquelles vous êtes confrontés ?

Ce projet ouvre la voie à une réflexion approfondie sur les défis pratiques, logistiques et scientifiques auxquels l’équipe de recherche est confrontée dans sa mise en œuvre :

  • Accès aux données : Une des difficultés majeures peut être l’accès aux données pertinentes pour alimenter le modèle d’intelligence artificielle. Dans le cas de notre projet, l’équipe doit collecter des données provenant de l’hôpital Calmette. Parce que les données médicales ne sont pas toutes informatisées, nous ne travaillerons que sur les résultats du laboratoire de bactériologie qui constituent néanmoins les informations les plus importantes. Nous ne pourrons intégrer les autres données comme les diagnostics, les traitements antibiotiques administrés, etc.
  • Nettoyage des données : Une fois les données obtenues, un défi supplémentaire consistera à les préparer pour l’analyse. Cela nécessite des compétences en informatique pour structurer les données de manière à ce qu’elles puissent être utilisées efficacement pour former le modèle d’intelligence artificielle.

  • Modélisation et apprentissage automatique : le cœur du projet réside ensuite dans le développement d’un modèle d’intelligence artificielle capable de prédire la sensibilité des bactéries aux antibiotiques. Cela implique la sélection et le développement d’algorithmes d’apprentissage automatique appropriés, ainsi que leur entraînement sur les données disponibles.
 A Marseille, nous travaillons déjà sur ce volet et des modèles spécifiques au Cambodge seront développé en collaboration avec l’équipe sur place.
  • Développement de l’application intégrant ces modèles d’intelligence artificielle qui réponde aux enjeux cambodgiens et aux attentes des futurs utilisateurs sur place. Un défi crucial sera de s’assurer que l’outil développé soit adopté et utilisé par les praticiens dans leur pratique clinique quotidienne. Cela nécessitera une interface utilisateur conviviale et intuitive, ainsi qu’une formation et un soutien appropriés pour les médecins dans l’utilisation de l’outil. Il sera peut-être nécessaire de surmonter les résistances au changement pour garantir une adoption réussie.

  • Durabilité et échelle : Une fois le projet pilote réussi, un défi supplémentaire sera de garantir sa durabilité et son expansion à d’autres établissements de santé au Cambodge et éventuellement dans d’autres pays. Cela impliquera des partenariats stratégiques, des efforts de plaidoyer et des investissements à long terme dans les capacités locales en matière de santé et de technologie de l’information.


Surmonter ces défis exigera une collaboration étroite entre les chercheurs, les praticiens de la santé, les responsables politiques et les communautés locales pour mettre en place des solutions innovantes et efficaces pour lutter contre la résistance aux antibiotiques.

 

LPJ : Quel est votre budget ?

Le projet est financé par une subvention de 100 000 euros du Ministère français des Affaires étrangères. Ce budget couvre les dépenses liées à la mise en œuvre du projet pilote d’une durée d’un an. Les fonds sont alloués à divers aspects du projet, notamment la collecte et l’analyse des données, le développement de l’outil informatique, la formation des praticiens de la santé, et la supervision du projet par les chercheurs. L’objectif est d’utiliser efficacement les ressources financières disponibles pour maximiser l’impact du projet sur la lutte contre la résistance aux antibiotiques au Cambodge.

 

LPJ : Comment est composée votre équipe ?

L’équipe impliquée dans le projet est pluridisciplinaire, regroupant des experts de différents domaines pour aborder de manière holistique la problématique de la résistance aux antibiotiques. Voici quelques membres de l’équipe :

  • Médecins infectiologues de l’hôpital Calmette et de Marseille : Ils apporteront leur expertise clinique dans le diagnostic et le traitement des infections bactériennes au Cambodge, ainsi que dans la gestion de la résistance aux antibiotiques dans un contexte hospitalier.

  • Microbiologiste de l’hôpital Calmette : elle est chargée de l’identification des agents pathogènes responsables des infections et de la détermination de leur sensibilité aux antibiotiques, fournissant ainsi des données cruciales pour guider le choix du traitement.

  • Épidémiologistes de l’UHS et de Marseille : Ils analyseront la distribution et la dynamique de la résistance aux antibiotiques dans la population, identifiant les tendances et les facteurs de risque associés à cette problématique.

  • Chercheurs en science des données (data science) du Cambodge et de Marseille : Ils développeront des modèles d’intelligence artificielle pour analyser les données recueillies.

  • Informaticiens en développement d’application au Cambodge : Ils développeront une application ergonomique et conviviale intégrant les modèles d’intelligence artificielle afin de fournir des recommandations personnalisées aux praticiens de la santé et faciliter la prise de décision clinique.
  • Personnel administratif et logistique : Ils assurent la coordination et la gestion efficace du projet, y compris la collecte des données, la communication avec les partenaires, et la gestion des ressources financières.


En collaborant avec une équipe pluridisciplinaire, le projet bénéficie de la diversité des compétences et des perspectives, ce qui renforce son approche intégrée pour lutter contre la résistance aux antibiotiques au Cambodge.

Ce projet aboutira dans un an. Le petitjournal présente aux Drs Seang et Rebaudet ses meilleurs vœux pour que ces recherches aboutissent à une meilleure prise en charge des malades. Nous reviendrons dans un an pour faire le point.

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